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Une passion qui laisse place à l’amour…


(Suite de La mémoire n'oublie jamais l'amour)


Mardi matin, 8 h 30. C’est la première fois que mon quart de travail chez M. Leo et Mme Denise se veut matinal. Habituellement c’est l’après-midi ; moment plus propice pour Léo, pour vaquer à ses occupations en lien avec la pêche ou la chasse ; ses deux passions ! Sauf que je viens de découvrir que Leo a une passion estivale : le golf !

Le printemps 2021 nous réserve des soubresauts inattendus ; des soubresauts peuvent-ils être prévisibles ? Se donnant des airs d’été, peu de jours après, il s’habille en hiver. Mais peu importe, les golfeurs qui ont la flamme, se sont déjà réchauffés et même si aujourd’hui ils devraient revêtir une bonne chemise de chasse doublée, les bâtons de golf sont déjà dans le 4 X 4 de Leo !

Celui-ci me donne des instructions sur le réveil de Denise, son habillement, sa médication et son déjeuner. Je pose, bien entendu, des questions plus terre à terre sur ses besoins « naturels » matinaux !

Il part, le dévoué Leo, rassuré mais dans le regard, tout de même une pointe d’inquiétude ; c’est la première fois que Denise va se réveiller seule, en présence « d’une étrangère ».

Il s’écoule 1 h 30 avant que Denise ne bronche dans son lit. Quand je l’entends remuer et marmonner, je m’approche et lui dit bonjour. J’aurais dû penser de me nommer. Nous venons d’apprendre cela en formation il y a quelques semaines, mais l’idée ne m’est pas venue. Alors elle me dit c’est qui ? Je souris en disant Andrée car Denise ne m’a jamais interpellé par mon prénom, le sait-elle ? Elle m’appelle son amie. Alors à mon bonjour, elle me répond d’une voix toute douce :

- Bonjour, … Tu es venue passer la journée avec moi.

- Oui.

- Ah ! je suis contente, on est bien ensemble.

- Oui, nous sommes bien ensemble, je suis contente d’être avec toi Denise. Est-ce que tu veux te lever, puisqu’elle est toujours dans son lit.

- Non, je suis bien ici.

- D’accord, repose-toi encore un peu.

Je tutoie Denise quand nous sommes seules, puisque je suis son amie. C’est devenu un réflexe d’agir comme cela. Dès que sommes en présence de Leo, de leurs enfants, je la vouvoie comme si je reprenais mon rôle d’accompagnatrice.

Denise relaxe au lit pendant un autre quart d’heure et en arrive à se lever, toute droite dans son lit, comme si elle sortait subitement d’un rêve enchanteur, le sourire aux lèvres. Elle ne veut ni manger, ni s’habiller. Je découvre une autre facette de Denise ; calme, allègre, paisible… Nous nous essayons alors au salon et rapidement, elle se remet à l’horizontale, sans jamais se plaindre qu’elle est fatiguée, car souvent, l’après-midi, elle soupire de fatigue et ne comprends pas d’ailleurs d’où lui vient cette lassitude car elle reconnait n’avoir rien fait. Soudainement, elle se relève et retourne vers la chambre, sans mot dire. Nous en profitons pour faire le lit et mes instructions de tirer les couvertures sont plus ou moins assimilées, mais qu’importe, ce n’est qu’un lit ! Puis, elle m’invite à m’asseoir sur le rebord, devant la fenêtre, comme lorsque nous surveillons l’arrivée de Leo durant les mois d’hiver où il est plus confortable de guetter sa venue à l’abri du froid.

Fait intéressant, ce matin, elle ne parle pas de Leo, elle qui le réclame sans cesse comme on déclame un texte publicitaire soutenu ! Nous demeurons ainsi, dans le moment présent, en train de vivre chacune des secondes qui s’écoulent comme un bien précieux et inestimable. La vérité c’est que je ne sais pas où se situe Denise. Est-elle dans le présent, ou est-ce que son présent c’est son passé ?

De façon bien imprévisible, elle se « cante » sur le lit et m’invite à en faire autant. Ce que je fais illico. Sur le lit conjugal, il y a toujours quelques peluches, minutieusement ordonnées. Je pense toujours en les voyant combien Leo est bien méticuleux et patient, car tous les jours, il répète ces gestes matinaux devant Denise qui observe, sans doute, le spectacle. Il s’agit peut-être d’une visualisation de la prochaine récolte à la chasse aux canards… car il s’agit de canards en peluche ! Une fois, j’en ai fait le décompte ; il y a sûrement plus de cinquante canards dans toute la maison ; des canards en bois, d’autres en plastiques, parés pour la chasse et d’autres en peinture… une passion c’est une passion !

Toujours est-il que maintenant ces canards deviennent des oreillers inconfortables pour Denise. Alors, avec des gestes appliqués, je réussis à glisser un coussin soyeux sous sa tête. Elle semble tellement bien. Je suis touchée de la plénitude du moment, comme si rien n’existait d’autre sur la terre, pas même Leo. Et nous savons tous malencontreusement, que tôt ou tard, le drame surviendra, Leo aussi aura basculé dans l’oubli… Je me sens privilégiée de vivre cet instant de grâce. Je lui caresse les cheveux, délicatement, elle est très sensible. Ses cheveux sont gras, mais quelle importance. Leo m’expliquera par la suite qu’ils ont manqué le rendez-vous de la personne qui vient pour le bain de Denise. Ce sont des choses qui arrivent.

Soudain elle ouvre les yeux, elle prend ma main et la dépose sur son bras. Elle referme les yeux. Elle est paisible. Elle est belle. J’essuie les larmes qui coulent de mes yeux, silencieuses, … avant que les petits canards ne s’en abreuvent. Je vis ce moment avec une tellement grande intensité que je ressens cet amour inconditionnel qui m’habite. Il n’y a rien d’autre en ce moment qui compte que la paix qui nous unit.

Quelques minutes plus tard, dix ou quinze, elle s’éveille de nouveau. Avec le même sourire et la même douceur dans la voix, elle accueille le jour sans anxiété à propos de son Leo. Elle demande seulement où il est ? Il est parti jouer au golf.

Je propose à Denise de mettre ses prothèses dentaires afin de déjeuner… ça irait mieux il me semble ! Elle me dit celles-là ? Il n’y a qu’elles. J’avoue que je ne sais pas si on doit les rincer avant de les porter à sa bouche. Elle ne sait pas non plus. Mais en les mettant, elle ne grimace pas. Je me dis fiou, ça devait être de l’eau ! J’aurais pu vérifier… !

Je lui prépare son déjeuner et je lui demande de prendre ses médicaments. Il y a huit petites pilules et elle ne sait pas quoi faire avec. Sur l’entrefaite, Leo téléphone pour s’assurer que tout va bien, rappelons-nous qu’il était parti avec une certaine inquiétude. Je le rassure que tout va très, très bien. J’entends son sourire dans sa voix. Pour les pilules il me dit : donne-lui une à la fois dans sa main et dis-lui de l’avaler. Je m’exécute. Maintenant, je saurais pour la prochaine fois. « Il y a une première fois à tout ».

Ses cheveux ont besoin d’être brossés. Je m’exécute avec toute la délicatesse nécessaire compte tenu de la grande sensibilité de son cuir chevelu. Je réussis à ce qu’elle ne dise pas ouch telle la première fois que je les lui ai brossés, et ce, malgré les nœuds…

Pour l’habillage, elle affirme ne pas aimer le chandail que Leo a choisi. Avec raison, ce n’est pas le meilleur assortiment avec son nouveau pantalon. Mais cela, c’est mon propre jugement, selon mon œil constamment à la recherche d’esthétique. Je suppose davantage un problème avec les manches, Denise aime tenir sa manche avec sa main pour enfiler un cardigan par-dessus ; le chandail proposé avait des manches trois-quarts. Nous en choisissons donc un plus adéquat et par la couleur et par le modèle. Ainsi, nous sommes prêtes à aller trotter… car Denise veut rentrer à la maison… bien qu’elle y soit déjà.

Je propose de sortir et s’il fait trop froid à son gout ; nous pourrions prendre le F-150 qui nous attend à la porte et aller en ville. Elle manifeste le désir d’aller voir sa mère à Louiseville. Je lui demande si elle s’ennuie de sa mère, bien que je sache qu’elle est décédée... je ne sais depuis combien d’années. Denise vit tout au présent, elle écoute ses émotions. Il n’y a pas de nuance pour elle entre ce qui est et ce qui a été. Ne devrions-nous tous pas rester branchés à notre cœur, laisser jaillir en nous la naïveté de l’enfant ? Elle aime parler de sa mère et ensemble, nous la gardons présente dans son cœur.

Mais il y a bien un sujet qui tient Denise à cœur aujourd’hui ! Cela fait huit fois depuis le matin, soit depuis une heure, qu’elle me demande si j’ai un chum ? Si je lui dis non, elle s’offusque : Ça pas d’allure, comment ça que t’as pas de chum ! Si je lui dis : peut-être, bientôt… Elle me répond : fais-toi une idée, t’en as un ou t’en as pas ? Je rétorque oui, mais… Et elle rapplique: Où est-il ce gars-là, je vais aller lui dire, moi, qu’il arrête de niaiser… Et nous rions… ! Puis le scénario recommence quinze minutes plus tard… je ne sais plus quoi répondre… ! Elle me dit toujours, quand t’en as un bon, tu fais tout pour le garder… Puis elle me parle de son amoureux, son Leo, depuis 61 ans… J’ai un très bon mari… Il est maintenant 11 h 30 quand, pour la première fois depuis la matinée, elle me dit : J’ai hâte de voir mon Leo…

Nous allons « virer » jusqu’à Yamachiche en écoutant et en chantant Elvis. Nous rentrons avec la F-150 au même moment où Leo arrive du golf, heureux de la brise de liberté qu’il a avalée tout rond, durant sa ronde, malgré les grands vents et le froid de ce matin.

Je suis heureuse pour lui en voyant son visage détendu et son sourire trôner sur ses lèvres. C’est tellement important pour lui, pour toute personne aidante naturelle, de pouvoir penser à lui ou à elle. De pouvoir « changer d’air », sans honte, sans culpabilité, de quitter la maison en toute quiétude sachant que sa bien-aimée (son bien-aimé) est en sécurité et entre bonnes mains.

C’est tout cela l’importance de mon travail. Un travail essentiel, … autant pour eux que pour moi.

Merci la Vie,


Andrée Lambert

Accompagnatrice

Association des aidants naturels du bassin de Maskinongé.

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